Limaces et petits hommes verts

Publié le par T

band Elysia chlorotica

Dans le monde du vivant il existe six règnes:  animaux, végétaux, champignons, bactéries, protistes, archée. Mais pour faire simple revenons à la division courante: animal et végétal. Qu’est-ce qui différencie ces deux catégories? D’aspects fort différents (mais là n’est pas la question) les spécimens de ces deux règnes sont quasi identiques au niveau cellulaire. Un non-spécialiste ne ferait aucune différence entre une cellule de pissenlit et une cellule de lièvre. Le biologiste, lui, chercherait des chloroplastes. Cela ne vous aide pas plus à comprendre la différence fondamentale entre un lièvre et un pissenlit. La clef du mystère se nome « énergie ». Laissez-moi vous expliquer cela de façon rudimentaire:

Personne ne vit d’amour et d’eau fraîche (hormis les princesses mais c’est un autre débat), et pour survivre notre corps a besoin d’un apport extérieur pour fabriquer son énergie. En gros il nous faut manger, boire et respirer. L’herbivore mange des plantes, le carnivore mange l’herbivore (l’arbre lui, bien plus civilisé, ne mange personne. Mais chaque chose en son temps). À une échelle microscopique nos cellules contiennent ce que l’on appelle des mitochondries, éléments spécifiquement chargés de « fabriquer » l’énergie dont nous avons besoin. La digestion permet de « casser » nos aliments, les réduisant en briques élémentaires transportées par le sang dans nos cellules. Certaines de ces briques comme le glucose (inexploitable tel quel) sont transformées par ces mitochondries en énergie utilisable: l’ATP. Cette opération requiert de l’oxygène et rejette du co2 (ce qui nous oblige donc à respirer).  La constitution même de nos cellules animales nous condamne à manger pour survivre. La plante, elle, bien qu’incapable de courir, a tout de même une longueur d’avance sur l’animal, car ses cellules contiennent les petits éléments précédemment évoqués: les chloroplastes. Pour faire simple:  il s’agit de petits organites, présents dans la cellule, spécifiques au règne végétal et dont la fonction est d’opérer la photosynthèse (et contenant la fameuse chlorophylle, responsable de la couleur verte des végétaux). Grâce à l’action de la lumière et à un apport d’eau, de sels minéraux (dans le sol) et de co2 ces petites  usines vertes fabriquent leur glucose tout en rejetant de l’oxygène. Ce glucose ainsi fabriqué peut ensuite entrer dans le cycle de fabrication de l’ATP via la mitochondrie (comme pour le règne animal). Comprenez-vous l’intérêt de la chose? Plutôt que de manger du steak ou des carottes la plante mange du CO2. Vous voilà donc au courant de cette différence majeure entre règne animal et végétal.

 

La limite est nette, la frontière apparemment infranchissable. Il existe pourtant quelques resquilleurs, étrangers au règne végétal et coupables de vol de cellules photosynthétiques qu’ils récupèrent  pour leur propre compte. Une fois ces cellules en fin de vie le voleur est obligé de se réapprovisionner. Mais ce n’est que de la menue délinquance et il n’est nullement question ici d’un pont entre les deux règnes.

Elysia chlorotica, une simple limace de mer, est bien connue des services de police pour son côté cleptomane ("Kleptoplaste"plutôt). Elle mange des plantes (algues) et les digère à l’exception des petits chloroplastes qu’elle récupère intacts pour elle-même. Ce comportement lui permet de vivre quasiment sans manger, car son énergie provient de la photosynthèse des chloroplastes volés (sa jolie couleur verte est un signe évident de son larcin). Jusque là rien de nouveau pour les spécialistes. Et pourtant Mme limace a récemment surpris tout le monde. Une équipe de chercheur vient en effet de prouver qu’au-delà du simple vol Elysia chlorotica est aussi en état  de synthétiser elle-même sa propre chlorophylle! (Il s’agit là de la seule espèce animale connue capable d’une telle prouesse). Voilà donc, pour le coup,  un pont entre règne végétal et animal!… Je suis totalement fasciné par cette découverte! Voyez-vous l’intérêt évolutif évident de ce tout premier moteur hybride animal-végétal? Tous les avantages du premier règne, notamment la mobilité, avec en prime la photosynthèse en cas de vaches maigres… Renversant!

 

Cette histoire m’a rappelé une précédente réflexion. Permettez donc que je m’éloigne un peu de notre élégante limace.

 

Qui dit « manipulation du génome humain » dit eugénisme; et qui dit eugénisme pense certainement nazisme. C’est peut-être un peu bref comme raccourci, mais je ne crois pas être trop éloigné de ce que représente le bidouillage des gènes dans l’inconscient collectif. La plupart des gens ont en tête l’ambition Hitlérienne d’une race pure : Grand, blond, yeux bleus, etc. En bref: des clones! Rien de plus contraire à la nature, car qui s’intéresse au règne du vivant constate la propension de celui-ci à tendre irrésistiblement vers plus de complexité… Envisageons donc la question de ce point de vue. Plutôt que de tendre vers une forme de pureté, totalement illusoire et même dangereuse du point de vue de l’évolution (sans parler du point de vue éthique) imaginons  donc une forme d’eugénisme tendant vers d’avantages de complexité. De part notre maîtrise toute récente de notre environnement et grâces aux avancées de la médecine nous avons en quelque sorte stoppé le mécanisme de sélection naturelle. Il est bien trop tôt pour imaginer les répercussions que cela aura dans plusieurs milliers/millions d’années, mais cela ne nous empêche pas d’y réfléchir. Est-ce un bien? Est-ce un mal? Il est évident qu’il s’agit du réel progrès humain, car désormais tout le monde a sa chance. Tant mieux, cela fait aussi partie du processus civilisationnel. Mais demandons nous, sans aucun parti pris idéologique, si cela ne nous sera pas préjudiciable, sur le long terme, du point de vue de l’évolution. Aujourd’hui, en 2010, l’Homme est encore adolescent; il serait donc dangereux de lui laisser carte blanche pour réajuster ses gènes. Mais imaginons (on peut rêver) que dans une centaine d’années notre espèce sorte de l’adolescence et accède à l’âge adulte. Dans cette utopie de sagesse l’homme ne devra-t-il pas songer à prendre en main, du moins en partie, son futur génétique? (les lecteurs de Dan Simmons se souviennent sans doutes des Extros d’Hypérion. J’avais trouvé fascinante l’idée d’adapter génétiquement l’homme aux planètes visitées plutôt que de transformer ces planètes en fonction de nos besoins)…

Vous pensez sûrement à notre amie la limace et vous demandez la raison d’un tel égarement de mon propos. Je vous rassure je ne suis nullement égaré et il est temps maintenant de revenir à notre gastéropode. Preuve est faite qu’un animal est capable de synthétiser de la chlorophylle. Ne pourrions nous pas envisager d’intégrer cette spécificité à notre génome? Imaginez notre épiderme couvert de chloroplastes. Au-delà de l’aspect pas forcément esthétique d’une peau verdâtre (sauf pour les fans de Hulk) il s’agirait d’un réel avantage évolutif! Pendant nos périodes d’intense activité nous mangerions comme à notre habitude, mais au calme il nous suffirait de prendre un bain de soleil! Quelles répercussions cela aurait d’un point de vue social, écologique, géopolitique! La plupart des conflits actuels concernent l’énergie. Qui possède ce pouvoir peut maîtriser/modeler son environnement et donc subvenir à ses propres besoins vitaux. Imaginez que l’accès à la nourriture ne soit plus une priorité; combien vous diminueriez alors les motifs de conflits! Cela renverserait même le schéma actuel, car l’Afrique bénéficiant d’un ensoleillement record serait la moins demandeuse en ressources alimentaires. Mourir de faim deviendrait impossible (ça ne règle pas le problème de l'eau, mais ce serait tout de même un grand pas non?)...


Bref, en ce qui me concerne je ne vois aucun problème éthique à l’avènement d’un homme vert, bien au contraire, je trouve cette idée plutôt séduisante.


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A
un pur chai d'oeuvre cet exposé je pense également que ce serait une révolution de ne plus pouvoir manquer de nourritures c'est extraordinaire
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A
<br /> Je crois avoir probablement usé d’un ton un peu trop négatif (non-interprété comme agressif je l’espère) dans mon commentaire précédent. Je vous rejoins sur l’idée que l’on atteindra sans doute le<br /> niveau technologique et scientifique qui nous permettrons de manipuler nos cellules souche, nos embryons et nos gènes…probablement dans un futur plus proche qu’on ne l’imagine. Et l’idée même<br /> d’utiliser une telle technologie dans un but d’évolution « positive », tel que l’homme vert, me fait rêver…(mission accomplie!)<br /> <br /> En ce qui concerne le point de vue éthique, encore une fois je partage votre avis sur la prise en charge par l’homme, de l’évolution de l’homme, qui, comme vous l’avez justement mentionné, a d’ores<br /> et déjà débute grâce aux progrès médicales et autres progrès technologiques et scientifiques. Il est vrai que ma vision, quelque peu pessimiste, provient surement du fait que je n’arrive pas a<br /> imaginer l’homme atteindre la sagesse nécessaire a l’utilisation d’une telles améliorations génétique dans un but non-militaire, non-vaniteux ou non-commercial (mais le fait que mon petit<br /> bisounours interne soit mourant est un autre problème )<br /> <br /> Je crois que ce qui me laisse sceptique est le principe même « d’évaluer les conséquences ». La nature par sa complexité est imprévisible : le nombre de variable a considérer étant telles que l’on<br /> ne puisse envisager toutes les conséquences (a mon humble avis), même avec une connaissance très avancée de notre environnement. Il y aura toujours ce petit détail auxquels nous n’aurions pas porté<br /> attention, ou que nous ignorions et qui peut potentiellement avoir de lourdes conséquences…On a, malheureusement, de multiples exemples dans le monde actuelle…donc je n’ai nul doute qu’avec<br /> l’avancée technologique, les exemples n’en seront que multipliés…advienne que pourra. Evidemment, je ne souhaite pas l’arrêt de l’avancée scientifique sur la base d’un risque potentiel, cela ne<br /> nous mènera a rien. Il faudra en effet envisager un extra en attention avant de se lancer dans la manipulation génétique de l’homme, voila tout.<br /> <br /> Encore une fois, je n’avais pas l’intention de réduire cette idée au néant, en particulier quand que je la trouve très intéressante, et je suis ravie de voir qu’il existe encore des personnes a<br /> intérieur de bisounours…<br /> <br /> Excellent blog au passage ! Pourvu que ca dure !<br /> <br /> <br />
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T
<br /> Rassurez-vous je ne me suis nullement senti agressé. Mon but est aussi d'engager le débat et vous y avez répondu de façon argumentée, solide, je ne pouvais espérer mieux. Débat oblige, j'ai défendu<br /> mon bifteck :-)<br /> Je manque parfois de recul et connaitre d'autres avis m'intéresse tout particulièrement. Je vous remercie donc d'avoir pris le temps de commenter mon article..<br /> A bientôt j'espère...<br /> <br /> <br />
A
<br /> Fascinant ! L'idée est vraiment intéressante, je dois l'avouer. Pendant un instant, cela m'a fait rêver...Malheureusement, les requis biologiques et éthiques nous ramènent rapidement sur terre.<br /> <br /> Biologiquement :<br /> L’insertion de nouveaux gènes dans un organisme humain constitue un risque de cancer ou de dysfonctionnement, si l’insertion du gène affecte l’expression de gènes du cycle cellulaire ou de gènes<br /> lies au développement…sans aborder les problèmes techniques de manipulation d’embryons qui pour faire court, nous ramène vers les difficultés rencontrées dans le clonage humain….<br /> Mais imaginons toutefois que l’on puisse trouver une zone « safe » dans le génome pour y insérer notre petit gène de la chlorophylle. Les quantités d’énergie requise pour « alimenter » un organisme<br /> mobile et une plante sont très différentes ! En gros, la cellule humaine devra être entièrement rempli de chlorophylle…mais plus important, cette énergie est base sur l’énergie solaire…autrement<br /> dit, pour l’être humain, seul la peau pourra, en effet, profiter de cette nouvelle source d’énergie. Une peau saine et pleine de vie, ne pourra malheureusement pas subvenir au besoin d’un estomac<br /> vide.<br /> <br /> Ethiquement :<br /> J’ai peur de ne pas être tout à fait en accord avec la part de cet article qui sous-entend que l’on puisse éliminer le problème de l’éthique et de l’évolution sur la base de « bonne intention ». Je<br /> suis aussi soucieuse que quiconque de la survie de l’espèce humaine et de la fin de la faim. Mais on ne peut pas créer une race humaine verte avec une bosse sur le dos similaire a celle des<br /> chameaux (pour le stockage de l’eau), une fourrure en cas de froid, et des branchies, sans s’inquiéter des répercussions sur l’évolution…bon j’exagère, mais que ce passera-t-il lorsque 6 milliards<br /> d’individus auront besoin de CO2 pour vivre ? (qui représente 0,03% de notre atmosphère) et que l’on créera tous de l’oxygène ? Est-ce que cette modification fondamentale de notre atmosphère<br /> n’affectera pas l’évolution, non seulement de l’homme mais de toutes les espèces ?<br /> <br /> Encore une fois, j’ai trouve l’idée intéressante…un tantinet naïf, mais intéressante…<br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Je suis conscient du danger que représentent de telles manipulations dans l'état actuel de nos connaissances et technologies. Je n'avais pas l'intention de rédiger une étude de faisabilité; juste<br /> défricher un terrain de réflexion.<br /> Je n'ai pas non plus prétendu la chose réalisable l'année prochaine, ni même dans 10 ans; j'y songeais plutôt sur une échelle de centaines, voire de milliers d'années. La génétique est finalement<br /> une discipline assez jeune et je suis persuadé que dans une centaine d'années les difficultés techniques que vous évoquez ne seront plus d'actualité. Ne croyez-vous pas cela faisable dans un<br /> avenir lointain?<br /> Après, que cela soit techniquement possible ne signifie pas que cela doit être fait. Comme je l'ai dit dans cet article je ne pense pas que l'Homme ait atteint le degré de sagesse nécessaire.<br /> Aujourd'hui les applications industrielles suivent de (trop) près la recherche fondamentale, en faisant souvent fi du principe de précaution: cfc, nucléaire, ogm, nanoparticules, ondes GSM,<br /> pesticides, amiante, etc... et la liste est longue. Rassurez-vous je ne fais pas partie des opposants à la recherche, au contraire; mais je trouve logique et sensé de prendre le temps d'étudier<br /> l'impact de nos découvertes. Si l'homme vert doit voir le jour j'ose esperer que les scientifiques prendrons le temps de songer aux conséquences humaines, biologiques, écologiques, (etc). Cela<br /> est évidemment impossible aujourd'hui (techniquement et surtout humainement); je pêche sans doutes par trop d'optimisme en imaginant l'Homme plus sage dans cent ans. Que voulez-vous, j'ai parfois<br /> du mal à refouler un côté bisounours plutôt gênant :-)<br /> <br /> Je n'envisageais pas non plus un changement de moteur, mais plutôt un passage en douceur à une version hybride, comme pour notre amie la limace (je suis conscient que la photosynthèse ne nous<br /> aidera pas à courir un 100 mètres haies). Je trouvais intéressante l'idée de "complémentarité".<br /> Comme vous le dites il est bien évident que seule la peau pourra être équipée de chloroplastes; mais le glucose qui y sera produit par photosynthèse ne pourra-t-il pas être acheminé par voie<br /> sanguine vers les autres cellules du corps?<br /> <br /> Pour ce qui est du point de vue moral, attention: Je n'ai jamais prétendu "éliminer le problème de l’éthique".<br /> Je pars du constat (enfin, c'est mon point de vue en tout cas) que notre civilisation occidentale techno-scientifique finira, à terme, par stopper (ou du moins enrayer) le processus naturel<br /> d'évolution et de sélection naturelle. Puis j'ai ajouté, et c'est important, que cela n'était pas un mal, au contraire; Félicitons nous que l'homme sorte du schéma de la "lutte pour la<br /> survie", de la victoire du plus fort sur le plus faible. Partant de là je me demandais simplement s'il ne fallait pas envisager, dans un futur lointain,  de prendre en partie en charge<br /> notre propre évolution génétique. Et ce bien évidemment en prenant le temps de considérer de façon exhaustive les possibles conséquences de nos actes (comme par exemple, comme vous le précisez,<br /> l'impact global de plusieurs milliards d'humains consommant du CO2)...<br /> <br /> Je ne suis ni scientifique ni devin. Je n'ai pas prétention à prédire l'avenir ou l'évolution moral de l'Humanité. Je ne fais donc que jongler avec les concepts, les idées... Et si je vous ai<br /> fait rêver ne serait-ce qu'un instant alors mon but est atteint :-)<br /> Merci pour votre commentaire...<br /> <br /> <br /> <br />